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souvenirs d’amérique et de grèce.

coiffures les prêtres à grande barbe, lents et majestueux. Sur deux rangs vont les soldats, l’arme renversée, mêlés à la foule des fidèles qui tiennent des cierges allumés. Une odeur pénétrante de cire et d’encens s’élève jusqu’aux balcons des hôtels et des maisons particulières où les curieux sont entassés, tenant aussi de petits cierges qui pointillent d’or la nuit bleue ; on dirait que les constellations du ciel sont descendues parmi les hommes. Et les Kyrie eleison se perdent dans le lointain tandis qu’approchent les musiques militaires. Elles jouent des marches funèbres, mais trop vite, trop fort, avec trop d’entrain ; les accords mineurs veulent devenir majeurs comme si le triomphe se préparait sous la mort, comme si la résurrection poussait déjà la pierre du sépulcre où le Christ est à peine enseveli, et l’on s’attend à ce qu’une fanfare éclatante vienne soudain annoncer la délivrance suprême.

À peine trente-six heures et l’aube de Pâques se lèvera ; mais le peuple grec est incapable d’attendre jusque-là ; il passe l’après-midi du samedi saint dans une liesse croissante et, pour la seule fois de l’année peut-être, voit avec plaisir les lignes pures du Parthénon s’effacer avec le jour qui fuit. Cette nuit-là ne ressemble point aux autres ; elle apporte une promesse d’éternité À onze heures, la rue d’Hermès est envahie ; les troupes font la haie ; tout est noir et relativement silencieux ; les Athéniens glissent comme des ombres vers leurs églises ; mais le contraste est voulu ; ce silence et ces ténèbres rendront plus brillantes les illuminations, plus joyeuses les