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chicago.

à ce mot. Les proportions étaient justes, la décoration sobre, la silhouette harmonieuse, et si les fautes de détail abondaient, on ne les percevait du moins qu’en les cherchant. Il se dégageait de cet ensemble une impression d’élan vers le beau, une impression d’immatérialisme, si l’on peut ainsi dire, qui vous saisissait étrangement. L’émotion devenait poignante lorsque sur l’arc triomphal qui donnait accès à la plage, on lisait les lignes, magnifiquement simples, par lesquelles le peuple américain, évoquant les audaces et les souffrances des pionniers du nouveau monde, dédiait à leurs mémoires glorieuses les merveilles de la World’s Fair. Leurs noms étaient là, en cortège ; au pied de la colonnade venaient mourir les vagues du Michigan ; les héroïsmes du passé, les richesses du présent et les splendeurs de l’avenir se trouvaient réunis, pour un moment, dans cette enceinte inoubliable.

Combien, parmi nous, ont traversé cette Exposition de Chicago sans la comprendre, sans même se douter de son importance ! Non qu’il fallût, pour cela, le moindre génie ; il suffisait de connaître l’existence d’une Amérique pensante, désintéressée, éprise de science et de grandeur morale. Et vraiment ce ne devrait pas être si difficile d’imaginer qu’une telle Amérique ne peut pas ne pas exister. Est-ce que jamais l’or a suffi à former une nation ? Est-ce que jamais on a vu un peuple limiter ses ambitions à la recherche du bien-être, se passer d’idéal et vivre sans une âme collective qui lui soit inséparablement unie ? Or il est difficile de nier l’existence de la nation américaine,