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souvenirs d’amérique et de grèce.

dure toujours ; c’est la haine inconsciente pour la chair, ce sont les méfiances ascétiques cristallisées par le temps, passées dans les mœurs. Au prix de quels efforts reviendra-t-on à une conception plus juste de la machine humaine, de son harmonieux équilibre ?

Partout même violence dans l’argument, même passion dans l’objection. « Vous allez, dit-on aux novateurs, abaisser le niveau des études, fausser les idées, développer la brutalité, affaiblir la race. » Contre eux, tout est mis en œuvre, statistiques torturées, renseignements inexacts, faciles railleries. Fouillez dans les bibliothèques allemandes d’il y a quatre-vingts ans, dans les bibliothèques suédoises d’il y a soixante ans ! Vous trouverez les traces de cette hostilité irréfléchie. En Angleterre, ce fut pis encore. Je voudrais pouvoir placer les journaux et les brochures publiés entre 1840 et 1860 sous les yeux de ceux qui s’imaginent que les Anglais ont toujours joué au cricket et que le sport leur est aussi naturel que la faim et la soif. Ils verraient quelles invectives s’attirèrent, par leur audace, Kingsley et ses premiers disciples !

Aux États-Unis, il fallut la guerre de Sécession pour rendre la société aux distractions saines ; jusque là c’était la mode pour les femmes d’avoir l’air maladif et, dans les universités, les jeunes gens employaient leurs loisirs à pérorer en prose et en vers. Si le désastre de 1870 avait été, pour nous, moins complet, les sociétés de gymnastique n’eussent point prospéré. La France était parmi les pays les plus