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l’europe inachevée

Or, si de l’Allemagne nous portons nos yeux sur l’Autriche nous apercevons que ce que les amis de cette puissance, et ils sont nombreux, surtout en France, peuvent lui souhaiter de meilleur, c’est encore la continuation, le maintien de l’espèce de paix boiteuse, d’équilibre instable dont elle vit depuis quelques années.

Les 12 millions d’Allemands qui forment dans le Tyrol, la Styrie, la province de Salzbourg, et dans la haute et la basse Autriche, un corps absolument compact, peuvent-ils se contenter de cette situation ? Je ne le crois pas. Je crois que le voisinage de l’Allemagne impériale, qui est le symbole de la puissance germanique, je crois que ce voisinage est d’un tel attrait que le jour doit fatalement venir, et il paraît devoir venir dès que le prestige personnel de l’empereur François-Joseph aura pris fin, que le jour viendra, cela paraît indubitable, où les provinces autrichiennes de langue allemande se joindront, malgré l’empereur et malgré tout, à l’Allemagne.

Or, quelles sont ces provinces ? Ce sont des provinces bavaroises et catholiques, de sorte que du jour où elles se seront jointes à l’Empire allemand, en face de la Prusse protestante, il y aura une Bavière catholique presque aussi forte. Il ne faut pas croire que cela touchera en quelque chose à la stabilité de l’Allemagne qui est un corps absolument compact, un bloc de porphyre dans lequel il ne faut pas penser qu’il puisse se faire des fissures, et, comme je vous le disais tout à l’heure, c’est grâce à la constitution élaborée par le génie trop personnel et trop étroit de Bismarck que l’Allemagne ne peut se gouverner que par la Prusse. Mais du jour où les provinces de langue allemande autrichiennes seront réunies à l’Empire, le gouvernement par la Prusse deviendra impossible. Il faudra ce jour-là que l’empereur d’Allemagne soit mis en possession de prérogatives vraiment impériales ; en dehors de son titre d’empereur, il ne les a pas. Pour être véritablement indépendant, il faudrait que ce jour-là il devienne l’empereur de toute l’Allemagne, ce qu’il n’est pas encore.

Or, une telle transformation peut-elle se faire sans bouleversements, sans commotions, cela paraît plutôt douteux, et voilà pourquoi cette question de l’achèvement de l’Europe troublera l’équilibre de l’empire d’Allemagne, ce qui est grave. Il y a autre chose. Vous remarquerez, — malheureusement cette carte est un peu petite pour que je puisse vous montrer les territoires auxquels je fais allusion — que du jour où l’empire d’Allemagne, véritablement achevé, complété, s’avancera jusqu′aux limites actuelles de l’Autriche, jusqu’aux montagnes de la Carinthie, vous remar-