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conférence de m. de coubertin

tement atteinte par l’éventualité de l’achèvement de l’Europe et que c’était la puissance allemande. L’Allemagne moderne présente au premier coup d’œil un aspect qui semble un peu paradoxal. Quand nous considérons les exagérations de l’impérialisme, les progrès incessants du socialisme, et puis quand nous pensons à l’histoire locale qui a mis en jeu tant de forces opposées, sinon hostiles les unes aux autres, nous nous demandons si l’unité de l’Allemagne est bien complète. Nous voyons qu’elle est amorcée, mais il nous semble qu’il y a là encore beaucoup de causes qui pourraient amener du désaccord entre les diverses parties de l’Allemagne. D’autre part, quand nous contemplons l’empire et sa constitution politique, qui a été cimentée dans le sang de la victoire, nous lui trouvons une apparence de robustesse telle, qu’il semble y avoir là une construction très solide, devant durer très longtemps et mettre beaucoup de temps à se modifier, à s’effriter.

Je crois que la vérité est précisément l’inverse, qu’il est impossible d’étudier l’Allemagne moderne sans se convaincre aussitôt que, d’une part, son unité est absolument complète et que le germanisme est, sous ce rapport, un véritable bloc de granit. Cette unité a été préparée dans le tréfonds de la race et, sans qu’on pût le voir au dehors, elle a été depuis plus d’un siècle la cristallisation du germanisme. Mais, d’autre part, la constitution politique de l’Allemagne moderne répond à peine aux besoins d’aujourd’hui et ne répondra pas du tout aux besoins de demain, et voici pourquoi :

Il y a, quand on pousse un peu avant l’étude de la constitution allemande, il y a un fait qui surprend aussitôt, c’est l’absence constante de pouvoir de l’empereur, en tant qu’empereur. L’empereur semble placé entre deux prisons éventuelles qui sont, l’une, le Bundesrath, le Conseil de l’Empire, dans lequel sont représentées toutes les communautés, qui ne sont pas moins de dix-huit, et qui sont des restes de l’ancienne Allemagne, et l’autre, le Reichstag, le Parlement, issu du suffrage universel, incarnant la démocratie germanique.

Il semble que le prince de Bismarck, ayant construit ces deux prisons, se soit contenté d’en mettre les clefs dans sa poche, après y avoir concentré tous les rouages de l’administration. L’empereur ne peut rien en tant qu’empereur et il peut tout, en tant que roi de Prusse, par le chancelier de l’Empire qui est de droit président du Bundesrath et de fait le président du ministère prussien. Le chancelier possède le canal, le moyen par lequel on peut impérialiser le pouvoir royal. Toute la constitution allemande aboutit à cette bizarrerie.