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conférence de m. de coubertin

coule pas une goutte de véritable sang hellène, il avance un paradoxe dont tous ceux qui ont eu quelques rapports avec les Grecs modernes sont à même de constater l’inanité, car on retrouve aujourd’hui chez les Hellènes toutes les qualités et tous les défauts de leurs ancêtres.

Je ne veux pas prolonger davantage ce préambule ; je veux en tirer tout de suite les trois préceptes, les trois lois qui peuvent nous guider dans l’étude de l’avenir de l’Europe actuelle. Il est désormais prouvé, par l’expérience de la Grèce et des peuples qui l’avoisinent, que dans notre état de civilisation — je ne veux pas dire qu’il en a toujours été ainsi, ni même, bien que je l’espère, qu’il en sera toujours ainsi dans l’avenir — mais il est désormais prouvé qu’on ne peut plus tuer un peuple qui ne veut pas mourir ; voilà une loi consolante.

D’autre part, l’exemple de la Grèce nous prouve qu’il suffit d’entr’ouvrir en quelque sorte le couvercle du sépulcre dans lequel un peuple a été enfermé, quelqu’inférieures, quelque médiocres que soient les circonstances de l’existence qu’on lui fait, pour qu’il renaisse à la vie, et enfin si l’esclavage, si le tombeau où a dormi ce peuple, l’a fait ressembler plus ou moins à un squelette, il est établi que, du jour où il est libre, les chairs repoussent, il redevient lui-même.

Voilà ce que l’exemple de la Grèce nous enseigne. Or, si vous voulez bien, Messieurs, constater que du nord au sud, de part en part, l’Europe actuelle est traversée par une bande ininterrompue de populations qui ne veulent pas mourir, vous comprendrez quelle est l’importance de cette question à laquelle, puisqu’il fallait donner un titre à cette conférence, on a donné le nom de « question de l’achèvement de l’Europe ».

L’Europe, en effet, n’est pas achevée ; elle sera achevée quand toutes ces populations qui ne veulent pas mourir, auront fait admettre leur droit à l’existence. Ces populations, ce sont les Finlandais, les habitants des provinces baltiques, les Lithuaniens, les Polonais, les Tchèques, les Slovènes, les Ruthènes, les Madgyars, les Monténégrins, les Serbes, les Croates, les Bulgares, les Grecs.

Il est évident que ce problème, que j′appelle le problème de l’achèvement de l’Europe, ne peut pas se résoudre sans qu′il en résulte pour toute l’Europe un ébranlement ou tout au moins des commotions considérables, et s′il touche directement ou indirectement la plupart des grandes puissances, il y en a quatre qui sont justement considérées comme faisant partie des assises de l’ordre européen et qui sont plus directement intéressées, ce