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conférence de m. de coubertin

Mon Dieu ! reste à savoir encore si nous pouvons, si aucun peuple en Europe peut ne pas les tolérer ; mais avant d’intervenir, il faudrait en tous les cas être bien sûr que l’intervention est de notre intérêt. Je me permets, en ce qui concerne l’annexion possible, probable, certaine d’après moi, des provinces autrichiennes de langue allemande à l’Allemagne, je me permets de faire remarquer que nous pourrions trouver, et l’Europe avec nous, dans cette annexion, une certaine garantie de paix.

Il est évident que la puissance qui possédera à la fois Hambourg et Trieste, qui aura une sortie sur la mer du Nord et une autre sur la mer du Sud, cette puissance pourra atteindre un haut degré de prospérité commerciale. Mais d’abord cette prospérité n’est-elle pas une garantie de paix, avons-nous à la redouter ? Aux économistes d’étudier ce point de vue ; mais il y a un autre point de vue tout politique. Considérez l’Allemagne, considérez le royaume compact, la puissance formidable qu’elle représente sur la carte, et voyez s’il ne faut pas trouver à une pareille agglomération un débouché quelconque. Si elle ne le trouvait pas sur l’Adriatique, par Triestre elle serait amenée à le chercher du côté de la Belgique, des Pays-Bas. C’est une solution qui serait autrement fâcheuse pour nous et pour toute l’Europe et de telles visées ne pourraient pas ne pas amener des luttes terribles et sanglantes.

Quant à ce qui est de la Russie, à laquelle nous lie une alliance sensée et puissante puisqu’elle résulte d’une politique qui, en quelque sorte, a dominé les hommes et s’est poursuivie parfois malgré eux, il me semble que rien ne peut satisfaire autant notre France libérale qu’une modification dans une forme de gouvernement que nous respectons sans pouvoir l’approuver, modification qui rendrait impossibles des événements comme ceux dont nous sommes actuellement témoins en Finlande et qui sont faits certes pour affliger notre libéralisme. Est-ce que sa puissance serait diminuée parce que le czar se souviendrait des devoirs que lui imposent sa royauté polonaise et sa qualité de grand-duc en Finlande ? Ce souverain n’a-t-il pas cette chance, ce bonheur que, dans toute l’étendue de ses possessions, les haines que son gouvernement, que la civilisation qu’il représente a parfois accumulées, s’arrêtent toutes aux marches du trône ?

Sitôt qu’on connaît la Russie on voit qu’il faudrait bien peu de chose pour faire d’Helsingfors, de Varsovie, de Riga, des foyers de loyalisme. Eh bien ! je crois que non seulement nous sommes dans l’ordre des sentiments français, mais même que nous restons dans des sentiments russophiles en