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études historiques

les indignes, les tarés qui s’y étaient introduits, puis il appela à Rome et inscrivit dans l’ordre sénatorial mille familles gauloises, espagnoles ou africaines choisies parmi les plus recommandables par leur situation, leurs vertus et leur culture, afin de préparer de la sorte une pépinière de dirigeants intègres et respectables. Quant à l’ordre de succession, il le fixa d’office dans sa famille. Il avait deux fils, Titus et Domitien. Par malheur Titus, bon et gracieux, (encore que la façon dont il laissa son armée se comporter après la prise de Jérusalem, entache son nom), ne régna que deux ans (79-81). Domitien qui vint ensuite (81-96) eut la tête tournée par les grandeurs. À la différence de son père demeuré simple et économe et qui, volontiers, plaisantait sur le caractère divin dont l’affublaient les courtisans, Domitien se montra assoiffé d’hommages. L’empire l’apprécia, parce qu’il savait remplir avec habileté et exactitude ses devoirs de gouvernant mais Rome l’exécra. Plein de morgue, débauché, entouré d’un luxe excessif, il fit surtout peser sur elle le poids d’une cruauté folle, ordonnant de mettre à mort sur le moindre soupçon ceux qu’il croyait en train de comploter contre lui. Son assassinat fit l’effet d’une délivrance. Il ne laissait point d’héritiers. Le Sénat choisit l’un de ses membres, le vieux sénateur Nerva qui ne fut qu’un président sans prestige et sans autorité. Le seul acte pour lequel on lui doive marquer quelque gratitude, fut la désignation de Trajan comme son successeur. Et parce que cette sorte d’« adoption politique », en dehors de tous liens de famille, aboutit à un remarquable résultat, la pratique s’en imposa cent années durant. Trajan (98-117) choisit Adrien (117-138), qui désigna à son tour Antonin (138-161) lequel adopta Marc Aurèle (161-188).

Ce fut le triomphe du cosmopolitisme. Trajan était né en Espagne ; Antonin venait de Nîmes. Adrien passa la plus grande partie de son règne à voyager. Quant à Marc Aurèle, il incarnait cette philosophie stoïcienne qui « confondant tous les hommes et tous les peuples dans un principe d’égalité morale » travaillait comme le christianisme naissant dans un sens anti-romain. Ainsi se poursuivait le découronnement de Rome. Trajan essaya encore de lutter. Il s’indignait, raconte Pline, que l’on considérât Rome « non comme une patrie, mais comme une hôtellerie ». Il n’y put rien. Il semblait impossible de la remettre debout moralement. Malgré le sang nouveau infusé par Vespasien, le Sénat restait incapable et apathique. Rome ne s’intéressait qu’aux jeux sanglants du Cirque et en voulait à Marc Aurèle d’en être l’adver-