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des îlots où puisse être assurée, dans certaines spécialités, la continuité d’un effort indépendant et stable.

L’indépendance et la stabilité, voilà, Messieurs, ce qui nous a permis de réaliser de grandes choses : voilà ce qui, trop souvent, fait défaut aux groupements d’aujourd’hui. Sans doute, cette indépendance aurait, en ce qui nous concerne, des inconvénients, s’il s’agissait, par exemple, d’édicter des règlements stricts, destinés à être rendus obligatoires ; mais tel n’est pas notre rôle. Nous n’empiétons pas sur les privilèges des sociétés ; nous ne sommes pas un conseil de police technique. Nous sommes simplement les « trustees » de l’Idée olympique.

L’Idée olympique, c’est à nos yeux la conception d’une forte culture musculaire appuyée d’une part sur l’esprit chevaleresque, ce que vous appelez ici si joliment le Fair play et, de l’autre, sur la notion esthétique, sur le culte de ce qui est beau et gracieux. Je ne dirai pas que les anciens n’aient jamais failli à cet idéal. Je lisais ce matin, à propos d’un incident survenu hier et qui a causé quelque émoi, je lisais dans un de vos grands journaux une expression de désespoir à la pensée que certains traits de nos mœurs sportives actuelles nous interdisaient d’aspirer à atteindre le niveau classique. Eh ! messieurs, croyez-vous donc que de pareils incidents n’ont pas émaillé la chronique des Jeux Olympiques, Pythiques, Néméens, de toutes les grandes réunions sportives de l’antiquité ? Il serait bien naïf de le prétendre. L’homme a toujours été passionné ; le ciel nous préserve d’une société dans laquelle il n’y aurait pas d’excès et où l’expression des sentiments ardents s’enfermerait à jamais dans l’enceinte trop étroite des convenances.

S’il y a des abus à réformer, s’il faut même une croisade pour cela, nous sommes prêts à l’entreprendre et je suis sûr qu’en ce pays l’opinion voudra nous seconder — l’opinion de tous ceux qui aiment le sport pour lui-même, pour sa haute valeur éducative, pour le perfectionnement humain dont il peut être un des facteurs les plus puissants. Dimanche dernier, lors de la cérémonie organisée à St Paul en l’honneur des athlètes, l’évêque de Pennsylvanie l’a rappelé en termes heureux ; l’important dans ces concours, c’est moins d’y gagner que d’y prendre part.

Retenons cette forte parole. Elle s’étend à travers tous les domaines jusqu’à former la base d’une philosophie sereine et saine. L’important dans la vie, ce n’est point le triomphe mais le combat ; l’essentiel, ce n’est pas d’avoir vaincu mais de s’être bien battu.