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variétés

se laisser aller. Du regard, la victime examine les sites de chutes probables et son incertitude s’en accroît. Et puis, tout d’un coup, sur un faux mouvement, les skis se décident tout seuls et l’homme les suit, content et inquiet à la fois. Six secondes plus tard, il a culbuté dans la neige. Il est humilié vaguement mais apprécie le confort de cette culbute. La neige l’a reçu à la façon d’une « bergère » Louis XV, dont le coussin s’enfonce gentiment sous votre poids. Et comme elle est gaie, cette neige ! Elle a sauté sur lui sans le salir, presque sans le mouiller, accrochant à ses moustaches et aux mailles de son jersey de jolis diamants qui scintillent au soleil. Décidément, le ski est un plaisir divin. Notez que le cavalier jeté à terre ne choisit pas ce moment pour exalter les beautés de l’équitation…

Ce qu’on voit sur la route : un énorme traîneau à quatre places passe, traîné par des chevaux couverts de grelots aux tintements de cristal. Le traîneau est vide ; il ne contient que des manteaux, des plaids et un vaste panier qui flaire la mangeaille. Les convives sont attelés derrière, chacun sur sa luge ; il y en a quatorze ficelées l’une à l’autre et dessinant un long serpent d’articulation rudimentaire que secouent les méandres du chemin. Certes, ce n’est point esthétique, mais il paraît que le fun est excessif.

Voici les petits de l’école qui s’échappent à grands cris. Ils ont aux pieds de vieux patins ébréchés avec lesquels ils glissent, marchent, courent, sautent en une locomotion dont le caractère est indéfinissable mais la rapidité évidente. Et sur le train de bois ramené de la montagne à son chalet, un vieux paysan fait pour la dixième fois le compte de la prospérité que lui valent, cet hiver, ces bêtats d’étrangers pour lesquels il éprouve presque autant de considération que pour l’oie grasse destinée à être plumée par lui demain en vue du repas de Noël.

De quoi on parle ?… C’est bien simple ; d’une seule et unique personne, la Neige. Jamais femme n’a occupé à pareil degré l’esprit des hommes. Il faut vous dire qu’il y en a trente-six, des neiges. Seuls des skieurs pourraient les cataloguer convenablement. Vous autres, gens d’en-bas, vous croyez bonnement que la neige est une espèce de fleur blanche et fondante qui tombe un peu mollement et s’accumule en paquets ouatés sur les gens et les choses. Ce n’est pas cela du tout. Il s’agit d’une personne malicieuse qui complote avec le gel et le soleil une masse de trucs très décevants ; elle se fait tour à tour collante, craquante,