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ce qu’il y a de plus « Saumur », des leggings de cuir fauve à courroies, des éperons nickelés et un stick à pommeau d’argent. Il n’y a plus d’enfants, ma parole ! Et le moyen de ne pas monter à cheval crânement avec un si joli équipement. Au moment de se retirer, non sans avoir blamé in petto la faiblesse de la maman, le bonhomme Noël s’aperçut qu’il avait encore quelque chose pour cette maison-là. C’était une raquette de tennis ornée d’un chiffre d’argent et dont la fabrication s’indiquait particulièrement soignée. Mais cette raquette là sûrement n’était pas destinée à un enfant ; son poids semblait n’être pas en rapport avec des forces juvéniles et pour saisir son manche robuste, il faudrait une large main d’homme. Alors quoi ?… le papa après le petit garçon ?… Un comble. Le bonhomme Noël, assis dans le salon un peu en désordre comme à la suite d’un gai réveillon, tournait et retournait l’objet dans ses mains. Mais il n’y avait rien à dire. Le bonhomme Noël était en service commandé ; il devait obéir. Il ouvrit donc une porte et pénétra dans la chambre voisine où dormait d’un bon sommeil équilibré un homme de trente cinq ans environ. C’était pour lui la raquette et, devant la cheminée, le dormeur n’avait-il pas eu le toupet de déposer de fortes chaussures de chasse qui disaient les belles randonnées à travers les labours profonds où la forêt humide et la provision d’appétit et de santé rapportée de ces expéditions-là… Assurément ce n’était pas la première fois que le bonhomme Noël se trouvait muni de cadeaux pour des grandes personnes. Bien qu’hostile à ce genre de gâteries, il s’y prêtait, en général, d’assez bonne humeur et, avec un petit sourire narquois, déposait dans l’âtre les objets dont il était chargé. Mais vraiment cette fois-ci, cela passait un peu les bornes. C’est le petit garçon qui recevait le cadeau… sérieux et son papa qui recevait le joujou. Car pour le bonhomme Noël, une raquette c’est un joujou puisque cela sert à jouer et des éperons c’est une chose sérieuse puisque cela sert à faire galoper un cheval. Où allons-nous ? Mon Dieu ! Où allons-nous ? Voilà les petits garçons qui sont traités en grandes personnes et les grandes personnes qui redeviennent des petits garçons.

Par hasard, cette nuit-là, le bonhomme Noël n’était pas en retard. Rentré dans le salon voisin, il s’y assit sur un pouf et s’abandonna à ses réflexions. Et il vit la jeunesse. Il la vit sous une double forme successive : celle d’une petite frimousse frisée et rieuse épanouie sous un béret marin et celle d’un homme grand et fort, agile et gai avec les mêmes yeux rieurs et en plus une belle moustache blonde. Soudainement il comprit que ces