Page:Pierre de Coubertin - Anthologie, 1933.djvu/141

Cette page a été validée par deux contributeurs.
136
anthologie

cal. Dans les chemins poussiéreux, vous croiserez des hommes à cheval qui chantent des paroles yankees sur des airs espagnols et poussent devant eux des bestiaux. Ces hommes ont la chemise ouverte sur la poitrine nue, leur déshabillé est artistique et chacun de leurs mouvements charme par la grâce inconsciente dont il est empreint.

Quand vous aurez passé les montagnes de Santa Ynez et aperçu la plaine de Santa Barbara et l’Océan Pacifique semé de grandes îles lumineuses, ce sera la Californie du Sud plus exubérante, plus chaude de teintes, presque tropicale par endroits. Vous irez visiter la mission de Santa Barbara qui, seule, est complètement intacte, et le vieux franciscain irlandais qui entr’ouvre d’un air bougon la porte vermoulue sourira presque, s’il sait que vous venez de Paris. Vous attacherez votre cheval à l’ombre d’un poivrier et vous écouterez la fontaine qui joue dans le grand silence de midi tandis qu’une avalanche de soleil tombe sur la terrasse blanche et que les cactus et les aloès détachent sur les murs de pisé leur dentelure bleue.


Notes athéniennes (1894-1896).

Ce fut une sensation rare cette première entrée au Pirée, une nuit de novembre. La mer sommeillait déserte ; une clarté diffuse traînait sur les eaux. Nous suivions un rivage indécis derrière lequel se profilait vers le nord une masse sombre ayant à sa base une sorte de nébuleuse ; c’étaient le mont Hymette et les lumières d’Athènes. L’Ortégal s’avançait comme intimidé par le calme des choses ; il doubla un promontoire et s’approcha de deux jetées d’aspect antique. Dans le port, le silence régnait ; on s’était lassé de nous attendre. Une barque attardée roda quelques instants autour du navire et il se fit un peu de bruit à bord ; des mots furent échangés dans une langue rapide et sonore mais très douce… les mêmes mots peut-être qui, deux mille ans passés, saluaient ici les navigateurs. L’ancre tomba près de deux avisos cuirassés qui, en l’honneur de l’empereur Alexandre portaient le grand deuil de la marine… puis tout retomba dans l’immobilité. Sur les quais endormis, la brise agitait par instants la flamme des réverbères et celle-ci avivée soudainement éclairait