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une descente au monde sous-terrien

fiaient ces ronds et ces carrés sur sa peau d’ébène, ne bronchait pas. Il était résigné.

— Pauvre garçon ! murmura Wilhelmine.

— Je résolus de le sauver. Ma première pensée avait été de l’acheter, tout simplement, en en donnant en bon prix et en disant que je désirais le manger moi-même. Mais je réfléchis que ni pour argent ni pour or ces gens-là ne renonceraient à un festin convoité depuis plusieurs semaines, et au cours duquel ils devaient célébrer la puissance de leurs armes. En outre, si j’avais fait cette proposition, c’était jeter la défiance parmi les anthropophages, me faire surveiller et rendre impossible l’exécution de mon projet. Je préférai employer un procédé classique, et qui réussit toujours, au Congo. Je fis ouvrir mes bagages, et en tirai du tafia en notable quantité. Le roi se grisa d’abord abominablement. Quand il fut ivre, il convia ses guerriers à boire avec lui. Et quand tous se trouvèrent hors d’état de lever une patte, j’enlevai mon Congo au nez et à la barbe des vieillards, des femmes et des enfants, qui nous auraient bien fait un mauvais parti s’ils l’ayaient osé, mais que nos armes tenaient en respect. Quand mes gens se sont éveillés, nous étions loin. Leur régal est resté à l’état d’espérance.

« Mais croiriez-vous que ce nègre n’a plus jamais voulu, ensuite, se séparer de moi ?… J’ai tout fait pour le perdre, et n’ai pas pu y arriver. Je voulais le reconduire dans sa tribu ; il n’en a jamais dit le nom ; je l’ai battu, je l’ai chassé ; le lendemain matin, je le retrouvais couché en travers de la porte, de ma tente, et me regardant avec des yeux de chien qui reproche. Enfin, j’ai trouvé moyen de le distancer dans