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une descente au monde sous-terrien

prendre sans se traduire, et même sans user d’une combinaison internationale quelconque.

La lecture de son rapport, destiné à révolutionner le monde polyglotte, devait durer trois grandes heures. Aussi ses collègues s’étaient-ils arrangés le plus commodément possible dans leurs fauteuils, l’un préparant une grande pipe — car on fume librement, à l’Académie de Saardam — l’autre dissimulant dans son pupitre un petit flacon de curaçao dont il comptait de temps à autre se stimuler ; un dernier ne préparant rien, mais visiblement disposé à une sieste magistrale.

Au dehors, il faisait un temps affreux : neige fondue et vent du nord. Les rares piétons de la ville, contrairement à leurs habitudes de calme et de lenteur, couraient aussi vite que possible sous les rafales glacées, et les jolies petites Hollandaises emmitouflaient soigneusement leurs nez roses.

Dans la grande salle au plafond bas et traversé de poutres vieillies, la tempête laissait les gens indifférents. Un énorme poêle en faïence ronflait, que surveillait avec sollicitude un huissier solennel, et une douce chaleur régnait, disposant tout le monde à l’égalité d’esprit qu’il faut pour entendre discuter linguistique pendant plusieurs fois soixante minutes.

Le président, vers trois heures dix, parut s’agiter. C’est-à-dire qu’il posa la pipe en porcelaine dans laquelle il avait jusqu’alors soufflé, et promena sur l’assistance un long regard. Il s’en trouva satisfait, sans doute, tant au point de vue de la qualité qu’à celui du nombre, car il frappa sur un timbre placé à sa droite, et prononça (en hollandais, bien entendu, mais nous traduisons pour la commodité de la majorité de nos lecteurs) :