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couleur fort noire. Le dessus du corps & des aelles est noirastre, tirant sur la couleur enfumee : mais ses costez, le milieu des aelles, le ventre, & grand partië de la queuë sont blancs. Il ha les jambes & pieds grossets, rougeastres, mols & delicats, contraire en ce à plusieurs autres oyseaux de riviere. Luy voyants les jambes & pieds rouges l’avont nommé Haemantopus. Il n’a que trois doigts en ses pieds, qui sont enseignes, qu’avons trouvees en Pline, qui dit en ceste sorte, au quarente-septiesme chapitre du dixiesme livre : Haemantopus multo minor est quam Porphyrio, quanquam eadem crurum altitudine : rostrum quoque & crura rubent. Nascitur in Aegypto, insistit ternis digitis. Praecipuum ei pabulum Muscae. Vita in Italia paucis diebus. Toutes lesquelles choses trouvons facilement convenir à ceste Pie de mer, qui autrement nous est aucunement rare en France, sinon qu’on les prend quelques fois par les marais de Saintonge, mais ne sont gueres bonnes à manger : car elles sentent par trop la sauvagine.

Du Corlis, & Corlieu.
CHAP. XII.


LE CORLIS est oyseau d’aussi grande corpulence comme une Aigrette. Il ha gaigné son nom Françoys de son cry : car en volant il prononce Corlieu. Les Milanois possible retenants ce nom des Françoys, l’appellent Caroli. Il est constant en son plumage, n’estant coustumier de changer sa couleur, & n’ayant beaucop de distinction du masle à la femelle. Il y ha un autre oyseau quelque peu moindre que cestuicy, qui ha ainsi le bec long, qu’on nomme en Françoys un petit Corlieu, que plusieurs pensent estre tout un, & toutesfois cela est fauls : car en quelques endroits de France, il nous ha esté nommé une Barge. Nous en parlerons plus au long par cy apres. Ce Corlis ha le bec tourné en faucille, beaucoup voulté, ayant un grand demy pied de long, qui est gros comme le doigt en l’endroit ou il touche à la teste : mais beaucoup plus delié par le bout. Sa langue nous semble moult courte pour la proportion de si long bec. Il est de couleur grise, tout merqueté de taches brunes & rougeastres. Il sent beaucoup la sauvagine. Le dessous de son ventre est blanc, mouchetté de noir, tellement que par cest endroit ressemble à un oyseau de proye. Les plumes de dessus ses aelles sont presque semblables à celles d’un Gerfaut. Sa queuë est courte, qui ne passe guere la longueur de ses aelles, aussi est tachee & bigarree en travers de brun & de blanc. Il ha le col longuet & gros tout entourné de plumes grises. Ses jambes sont longuettes de couleur perse, ayant quatre doigts en chasque pied, dont les trois de devant sont bien fournis & gros : celuy de derriere est court. La moytié de sa cuïsse au dessus du genoil est tout denuëe de plumes, chose qui advient aussi à touts autres oyseaux de marais. Nous n’en cognoissons aucun autre, qui ait le bec si long que cestuy lá. Et encores qu’il soit d’une saveur plus farouche, que nul autre, & sente la sauvagine à pleine bouche, ce neantmoins le voyons obtenir un degré d’honnesteté en dignité entre les oyseaux qu’on appreste es festins & banquets de noz contrees. Les Corlieux volent en trouppes, & se paissent dedens les