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de son antiquité, aussi la souvenance de l’habitation de Circé est demeuree imprimee en la memoire des paisants, laquelle ils veulent appeller le trou de la Sibile. Aussi avoyent anciennement opinion que les enchanteurs pouvoyent arrester le cours des eaux, & faire mille autres choses incroyables, desquelles lon n’ha onc veu aucune experience, non plus que des sorciers qui font leurs factions par sort, ou hasard : desquels voulants en sçavoir quelque chose, sera trouvé que c’est pure fable & mensonge, & ou il n’y ha rien de vray. Une pauvre personne troublee, & hors de ses sens, se peut bien imaginer quelque chose supernaturelle, & estant atteinte & convaincuë par tesmoings, advouër choses incredibles à nostre esprit : mais à la verité nous pensons attribuër ce vice à sa maladie. Parquoy lon doit juger d’eux, comme des gents qui par maladie melancholique, & songes fantastiques s’imaginent diverses choses faulses, qui trompent & troublent leurs seus. Les uns pensent devenir loups, & vont courants par les ruës & lieux champestres, hurlants comme les loups, dont les medecins les ont nommez Lycanthropi, & leur maladie Lycanthropia, & en Françoys Loups guaroux. Les autres pensent estre roys, ou Empereurs, & ainsi des autres diversement troublez d’esprit. Mais quand les hommes malings se sont imaginez de se venger de leurs ennemis, ils leur peuvent bien nuire par poison. Car n’osants les affaiblir ouvertement, ce n’est merveille s’ils songent mille manieres pour se venger & les endommager frauduleusement. Parquoy ne fault estimer telles gents estre sorciers, mais empoisonneurs : & si c’est par poison, c’est par la vertu de quelque drogue, & non par sort, comme leur nom l’emporte, car le sort est deffendu : mais c’est que les hommes estants plus convoiteux des choses deffenduës, voyants que la loy ne permet les sorceleries, pensent que c’est quelque autre chose, & y adjoustants foy, s’essayent en choses impossibles, & lá se trouvent si fort deceuz qu’ils sont souvent transportez d’esprit, tellement qu’ils confessent, & advouënt choses impossibles. Les hommes qui ont faulte de sens, & de vertu naturelle, demeurent les uns opiniatres, & meurent soubstenants une opinion contraire à celle des autres, comme au contraire il y en ha qui se laissent persuader tout ce qu’on veult qu’ils croyent. Qui se sera trouvé es assemblees entre diverses nations de langues dissemblables, & aura entamé quelques propos de sorcelerie, en entendra en brief encor plus qu’on n’en sçauroit escrire : Car lon n’y trouve jamais fin, nomplus qu’en ce qu’on dit des visions de nuict, & en l’interpretation des songes. Et un homme croyant beaucoup de telles folies, ne nous semble moins malade, que ceux qui se les font imaginees vrayes : car la raison enseigne, que touts deux ont faulte de bon sens. L’un ha l’imagination & apprehension blecee, de penser choses qui ne peuvent estre en nature, & les reciter pour vrayes : l’autre ha faulte de bon jugement, & l’esprit debile de les croire. C’est de lá que les hommes se laissent vaincre à leurs passions, à l’exemple de deux, qui en mesme endroict ont affections contraires, l’une d’amour, l’autre de jalousie. Mais pour ce que cela ne leur peut tousjours durer, ils peuvent bien dire lors qu’ils sont retournez à eux, qu’ils sont gueriz de griefve maladie. Si anciennement quelqu’un estoit transporté d’esprit, il y eut un proverbe qui vint des Grecs aux Latins, par lequel on disoit luy estre besoin Navigare Anticyra : Car le bon Hellebore qui purge l’humeur melancolie dont estoyent gueriz les fols, croist en ce païs lá. Mais maintenant les Françoys dient à tel malade, qu’il ha affaire d’estre mené à saint Mathurin.