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AUX MONTAGNES ROCHEUSES

croirait avoir dégénéré. » Dans toute autre occasion, il est froid et délibère, étouffant avec soin la moindre agitation. Découvre-t-il, par exemple, que son ami est en danger d’être tué par quelque ennemi aux aguets, on ne le verra pas accourir précipitamment pour le lui annoncer, comme s’il était dominé par le sentiment de la crainte : il lui dira paisiblement : « Mon frère, où vas-tu aujourd’hui ? » Sur sa réponse, il ajoutera avec le même air d’indifférence : « Une bête féroce se trouve cachée sur ta route. » Cette allusion suffit, et son ami évite le danger avec autant de soin que s’il avait connu tous les détails relatifs au piège qu’on lui tendait. Si la chasse d’un sauvage a été infructueuse pendant plusieurs jours, et que la faim le dévore, il ne le fera pas connaître aux autres par son impatience ou son mécontentement ; mais il fumera son calumet comme si tout lui eût réussi à son gré : agir autrement, serait manquer de courage et s’exposer à être flétri par le sobriquet le plus injurieux que puisse recevoir le sauvage, celui de vieille femme.

Dites à un sauvage que ses enfants se sont signalés dans les combats, qu’ils ont enlevé des chevelures, qu’ils amènent des prisonniers et des chevaux : le père ne montre aucune émotion de joie, et se borne à répondre ; « Ils ont bien fait. » Si, au contraire, on lui apprend que ses enfants sont morts ou prisonniers, il se contente de dire : « C’est malheureux. » Quant aux circon-