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AUX MONTAGNES ROCHEUSES

belle fontaine pour prendre un moment de repos et pour dîner. Comme nous nous félicitions de n’avoir pas encore rencontré ces redoutables Pieds-Noirs, tout à coup un bruit affreux se fit entendre sur la côte qui dominait l’endroit où nous nous étions arrêtés : une bande de Pieds-Noirs, qui depuis plusieurs heures suivaient nos traces, fondit sur nous au grand galop. Ils étaient armés de fusils, d’arcs et de flèches, presque nus, et barbouillés de la manière la plus bizarre. Je me levai aussitôt et je présentai la main à celui que je crus être le chef de la bande : il me dit froidement : « Pourquoi te caches-tu dans ce ravin ? As-tu peur de nous ? » Je lui répondis que nous avions faim et que la fontaine nous avait invités à prendre un moment de repos. Il me regarda avec étonnement, et s’adressant au Canadien qui parlait un peu la langue siouse, il lui dit : « Jamais de la vie je n’ai vu un homme pareil. Qui est-il ? » Ma longue robe noire et la croix de missionnaire que je portais sur la poitrine excitaient particulièrement sa curiosité. Le Canadien lui répondit (dans cette circonstance il était prodigue de grands titres) : « C’est l’homme qui parle au Grand-Esprit. C’est un chef ou robe-noire des Français. » Son regard farouche changea aussitôt : il ordonna à ses guerriers de mettre bas les armes, et chacun me donna la main, Je leur fis présent d’un gros paquet de tabac ; on s’assit en cercle et on fuma le calumet de paix