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Que vous êtes bon, monsieur, et que je suis content de vous ! Vous avez donné mon nom à votre nouvelle tulipe, et me voilà, à mon âge, en cheveux déjà blancs, renouvelé dans une fleur ! Certes, si je m’attendais à une métamorphose, ce n’était pas à celle-là. Une fleur ! une tulipe ! une des parures du prochain mois de mai, pendant que tant de braves gens, qui valent mieux que moi, en sont réduits à écrire leur nom sur les neiges du mont Blanc, sur le sable du désert, au sommet des Pyramides, sur le clocher des hautes cathédrales ! Les imprudents ! L’été vient qui fond la glace ; un souffle emporte au loin le sable enflammé ; la pyramide, elle peut crouler ; la cathédrale, elle tombe ! Au contraire, la fleur, à peine expirée, elle va renaître, et le nom qu’elle porte brillera d’un éclat tout nouveau. Quelle immortalité plus généreuse et plus charmante, et me voilà mille fois plus heureux même que si j’avais une statue ! On la brise, on l’insulte, on la renverse, la statue ! Elle dépend de la fortune et du caprice populaire.
Athènes a brisé, en un jour, les trois cents images d’airain qu’elle avait décernées à son tyran. Mais quelle main assez impie oserait briser une fleur ? Quel téméraire ose arracher la tulipe de son piédestal de gazon ? Grâce à vous, monsieur Twist, me voilà tout simplement immortel ! Soyez loué, soyez béni pour cette bonne œuvre ; il y a quelque mérite aujourd’hui à reconnaître, ne fût-ce que par un sourire, les honnêtes écrivains qui sont restés fidèles à la liberté. D’ailleurs, de quel droit imposer à quelque innocente tulipe, ornement de la terre et présent des dieux cléments, le nom