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esprit toute mon influence, et quel grand honneur ce sera pour moi de vous avoir maintenue en ce Théâtre-Français que votre absence allait tuer, et qui tombait le jour même de votre démission ! Il n’y a que vous, et vous seule. « Moi seule, et c’est assez ! » disait l’ancienne Médée. Oui, certes ; mais, vous absente, adieu le reste. Ils ont beau faire et chercher partout où vous n’êtes pas, ils ont beau annoncer, à son de trompe, une nouvelle Rachel, tous les huit jours… rien n’y fait, vous êtes la reine, et il faut se soumettre. Ayez donc ceci pour constant, que votre œuvre et votre vie à venir sont attachées au théâtre, et que, si vous abandonniez cette force et cette gloire où vous êtes, vous en auriez un éternel repentir. Songez donc à vos belles soirées, songez à la foule attentive et curieuse, au poëte ému, à la critique impatiente, à l’intime émotion du premier vers, à l’applaudissement définitif ! Quiconque a bu, à cette coupe, une seule gorgée, en a pour le reste de ses jours à sentir le goût du breuvage enivrant ; à plus forte raison s’il a vidé la coupe jusqu’au fond, et s’il s’est enivré de la douce liqueur. Je ne suis qu’un petit artiste, moi qui vous parle ; à peine si je suis suivi de quelques lecteurs ; mais, s’il me fallait renoncer à mon lundi de chaque semaine, à coup sûr j’aimerais mieux mourir, tant ça me charme et ça me plaît de parler au lecteur et de lui raconter ce que rêve ma tête et ce que pense mon cœur. Ainsi pas d’excuse à une retraite prématurée ! Heureuse, le théâtre augmente et double votre joie ; en deuil, le théâtre est une consolation. Rappelez-vous Henriette Sontag ! Elle s’en va au plus beau moment de