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infinie allait çà et là en mille caprices, éclatant de verve, d’esprit et d’indépendance ; je ne veux pas remettre le pied dans ce cabinet où les livres les plus rares et les plus charmants se trouvaient entassés par une main savante. Ô miracle de la patience, du goût, de l’étude et de l’amour des bons livres que ce noble esprit poussait aussi loin que l’amour des livres peut aller ! C’en est fait, je ne reverrai plus ce petit salon où il se tenait, écoutant tout le monde, appelant à lui toutes les intelligences ; si calme dans les temps d’orage, si fort quand il fallait être brave et hardi, si constant dans ses amitiés, si fidèle à ses devoirs, si tendre à ses enfants : un guide, un conseil, un ami !… Nous n’avions rien de caché pour lui, il n’avait rien de caché pour nous. Il était la justice même et la probité en personne…
De quel droit pouvions-nous compter plus longtemps sur une fête qui a duré trente années, du père à son fils, de l’oncle à son neveu, de ce bonheur à ce désespoir, de notre première jeunesse aux tristesses de notre âge mûr, de la maison de Paris à la maison des champs, où je n’ai jamais eu la force et le courage de remettre les pieds, tant j’avais peur, au détour de quelque allée et non loin du lac qu’il avait creusé, de rencontrer mon vieux patron, qui cette fois passerait devant moi la tête haute et sans répondre à mon appel ! C’est la loi ! Nous et nos œuvres, nous et nos livres, nous et nos choses, nous sommes condamnés à la mort, à la dispersion, à l’adjudication suprême !
… Dans ces demeures funèbres, rien n’est resté des parfums de la vie et de la grâce d’autrefois. C’était là