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donné soudain à cette funèbre nouvelle ; Jules Janin est mort ! et de quels regrets unanimes ils l’ont accompagné ! Messieurs, on ne jalouse pas seulement les célébrités, on s’en lasse, et il y a des modes en littérature comme dans le reste. On a essayé à la fin de contester l’œuvre de Jules Janin et de miner sa renommée. Mais, si les détracteurs de l’écrivain avaient eu raison, pourquoi tant d’émotion devant sa mort ? Si ce n’est l’éclat de son talent, c’est donc son caractère qui en est cause ; si ce n’est pas son esprit, c’est son âme. Il faut choisir. C’est l’un et l’autre, c’est le talent et la bonté. Un journaliste célèbre écrivait ce matin : « Après un demi-siècle de discussion, de critique et de publicité, Jules Janin vient de quitter le monde sans y laisser un ennemi. »
Oui, il était bon. C’était une riche, généreuse et expansive nature. Il était dévoué et ardent en amitié, et c’est l’amitié aussi qui le pleure…
« Si Corneille avait vécu sous mon règne, je l’aurais fait prince, » s’écriait Napoléon ier. Au plus beau temps de sa verte jeunesse littéraire, quand on s’arrachait ses prestigieux feuilletons du Journal des Débats, quelqu’un appela un jour Jules Janin le prince des critiques, et le nom lui est justement resté. Entendons bien : prince de la critique, non pas ministre de ses arrêts motivés, et souvent plus gourmés qu’infaillibles ; non pas ministre, juge suprême, mais prince, c’est-à-dire écrivain de race, d’un goût naturel pour juger les œuvres de l’esprit, brillant, fringant, conquérant, vêtu de pourpre et de soie, et parfois d’air tissé, comme un prince de féerie,