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SABBAT

les rivages perdus… Il exista un certain Musset…

— Je ne connais que lui et je l’adore. Mais sa gaminerie m’est plus précieuse et bienfaisante que ses absinthes empoisonnées, Dieu merci ! Qui alimenta ses douleurs ? Son génie léger et brûlant. Je te répète qu’il n’y a de vertu miraculeuse que dans la grâce et l’ivresse, et si Musset eût été moins blond et moins dandy, sans doute, n’aurait-il jamais écrit La Nuit de Mai

— Tous les poètes ne sont pas les amants de Ninette et de Ninon. De si grands vivent dans le désespoir !

— Ils n’y mourraient pas s’ils se donnaient le temps de vieillir, ces nigauds. Plus le poète avance, plus il rayonne, et il ne tend qu’à remonter vers la source de jeunesse…

— Eh bien ! moi, je vénère Faust, Rolla, René, Prométhée, tous ces sombres coupables qui ont, pourtant, prononcé des paroles divines, essayé des gestes immortels.

— …Oui… Mais donne-leur, à présent, la joie… et rien qu’elle. En possession de cette fronde de lumière, quels horizons ne feraient-ils pas s’ouvrir !

Faust n’a qu’entrevu l’ombre du profil satanique dans ses cornues bleues ou vertes. Rolla ne fut éloquent que par le blasphème. Ce n’est pas assez. Heureusement que René, quand il ne comptait, encore, que l’âge d’un petit garnement, a roulé sa carcasse de chrétien maudit dans les genêts en fleur. Suppor-