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SABBAT

— Visions ! visions !…

— Nos seules réalités. Quant à moi, il me suffit de penser : « Je suis », et je me vêts d’éternité, comme une fontaine, de feuilles.

Ce que nous sentons, c’est ce qu’il y a d’éternel en nous.

Lorsque, la nuit, je rêve que j’ai des ailes, des antennes, des suçoirs, du parfum, des corolles, des trompes, des pattes, mille pelages chauds, l’âme de la gazelle, le ventre du tigre, la connaissance de tout, et la petite tête impérieuse du serpent couronné de l’Éden, crois-tu que je ne communique pas, alors, avec l’immortelle vie qui sera la mienne, plus tard, quand, tout en sachant que je suis toujours moi, j’aurai le toucher délicat de la divinité, l’instinct inconcevable de la bête, la gloire éclatante de la fleur, et le goût, sur la bouche, de la divine faute que le Génie, divin coupable, a commise en voulant savoir ?…

— Notre corps pourrira, sorcière…

— Écoute : un jour où Satan battait, autour de moi, comme une mer heureuse autour d’une île nouvellement découverte, où j’étais pleine de fables et de chansons, d’inspiration et de mutinerie, où je saluais dans le soleil la solidarité des tendres pèlerinages de la création, je dis à ma mère qui, par sa naïveté et son regard bleu est une étrange initiée : « Je vis… je vis… je vis… Mon souffle qui anime la forêt fait craquer l’écorce des arbres. Mes rayons visitent les cœurs. Je suis, partout où je passe, l’Annonciation hybride