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LA PÂTURE

Elles sont si plaintives, ce soir, car elles sont si affalées ! Les entends-tu ? Comme elles gémissent ! Elles ont refusé le pain riche et doux, l’eau limpide qui, pour pleurer sur le divin cristal qui la contient, n’attend que la feuille de rose.

Ah ! vite, entre. Secoue, sur le plancher, la boue de tes chaussures que tu t’imagines trouées pour que ne soit pas trop humiliée l’indigence de ton âme, le brouillard qu’a bu ton manteau qui ne pouvait, ce soir, supporter ni l’habitude, ni le travail, ni la sécurité, ni le regard pur de ta mère, ni, après, son poids sur tes épaules. Allons ! jette, sur ce plancher, avec l’haleine des canaux, de la banlieue, du premier frisson automnal, ton cœur plein de pluie, de rancunes sombres et veules, de visions pauvres et impures, de la chanson des gouttières sur le pavé nocturne, du blasphème du charretier à sa rosse : la Vie, du bâillement écœuré des littératures à deux sous le couplet.