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SABBAT

donnait, à moi qui fus, à mon commencement, rapineuse, orgueilleuse, batailleuse, indisciplinée, insociable — complète ! — violente, par la couleur, le parfum et l’agression, comme l’œillet, insatiable et mauvaise comme les petits des hirondelles qui ont toujours faim et le désir des ailes dans leurs yeux étincelants ?

Souffrit-il qu’on ne me laissât pas ainsi qu’il m’avait faite, c’est-à-dire gracieuse comme le frelon élastique, débordante comme la coupe qui pleure sur son cristal limpide, et si inspirée que mes regards étaient des hymnes, mes gestes des incantations, mes rondes des sabbats ?

S’indigna-t-il qu’on parlât de me conduire, quelque jour, à l’école, de me faire asseoir sur un banc servile, de m’enseigner à tirer parti de la laine et du canevas, lui qui, un matin où je me trouvais seule, m’arracha amoureusement de mon lit, m’emporta, au roucoulement singulier d’une tourterelle invisible, dans une chambre abandonnée où je fus mise en rapport avec certaines de mes futures divinités étranges : les poisons, les fantômes, les grimoires, le souvenir, les portraits, les fleurs aux gestes las d’anciennes promeneuses, la danse ailée aux brodequins d’or et douce et funèbre comme la cendre ?…

Protesta-t-il qu’on m’enlevât à mon plus farouche amour : la Solitude, à cette mère pensive et puissante qui fut, hélas ! la rivale heureuse de la mienne, qui avait, pour che-