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SABBAT

haut… » Et, vraiment, je voyais, dans l’azur, rire les yeux bleus de ma poupée.

Hélas ! le Diable était, en moi, tout divin, encore. Je sentais, sur ma joue, la griffe vivante, et, sur mes paupières, la langue lumineuse et passionnée. Rien n’avait, dans mon âme, diminué la puissance, altéré la beauté, offensé la ferveur de mon Diable amoureux. Comme vers mes cinq ans, je commençai à devenir une charmante petite fille comme les autres, je suis à l’aise pour dire que, de ma naissance à mes cinq ans, je fus la merveille surnaturelle. Qui affligea, qui blessa, qui fit pâlir mon adorable Démon en moi ? Fut-il jaloux de mon alphabet, lui qui, déjà, m’avait appris à lire, dans ses yeux, le secret stellaire ? Méprisa-t-il mes hochets, lui qui me berçait dans ses bras, contre le soleil noir de son cœur ? Ricana-t-il devant mes jeux, lui qui me faisait des colliers mouvants de fourmis, des couronnes sonores de hannetons, des ceintures palpitantes de libellules, et qui, un soir, dans un désert de montagnes, comme ma bonne qui me portait fermait la grande porte du château, jeta contre mon visage un extraordinaire quadrupède dont je sens encore l’haleine enflammée et fraîche sur ma joue ? « Le Diable ! Le Diable !… cria la servante, Seigneur Jésus… » Mais la licorne me regarda ineffablement et s’enfuit dans la lande marécageuse, une étoile au front…

Blâma-t-il les leçons de morale qu’on me