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SABBAT

telligence, je tétais en ronronnant comme les chattes.

À six mois, je méritai que mon père me fouettât tant je montrais, déjà, d’entêtement et de raison. À quatorze mois, quand on me mit en présence des bêtes du jardin des plantes, je donnai le spectacle de la folie amoureuse : des larmes de tendresse coulèrent sur mes joues. Dès lors, j’avais parcouru le monde, et j’en revenais, chaque soir, sur mes petits pieds nus.

À trois ans, je possédais le don de double-vue, et personne, autour de moi, ne perdait un joyau, un torchon ou l’esprit, sans que je disse immédiatement : « Il est là-bas… » et je courais droit au rubis qui brillait dans une rainure du plancher, au torchon mêlé au linge sale de la servante voleuse, à l’esprit égaré sur une fleur : je rapportais un papillon et le rendais au cerveau du dément.

Plus tard, déjà hostile à la douleur physique et à la plainte que je méprisais, je déclarais à ma poupée : « T’as mal au ventre, eh ben ! je vas te donner un coup de « peignoir », et je la laissais pour morte, une épine plantée dans le cœur. Puis, dans un grand déploiement de danses, dans une grande débauche de chansons, de cris joyeux, de tintamarre métallique, je l’enterrais, et, mes cymbales aux doigts — deux casseroles — je frappais la tombe d’un pied victorieux. Alors, dans la transfiguration sacrée de la sibylle, je criais : « Y est pus… A parti, là-