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SABBAT

— Entr’ouvre-la.

— Un grand œil de braise ne cesse pas de s’y fermer et de s’y ouvrir…

— Je te défends de regarder le mien.

— J’ai peur.

— L’Ermite, aussi, a peur, car le rossignol a une cagoule brune, mais quelle voix ! Car la cruche est en grès, froide et pauvre, mais, de son goulot, coule, inépuisablement, — ô vision plus tentatrice que toutes ! — l’eau du Jourdain, l’eau pure par excellence, distribuée par la main mortelle de l’apôtre, une main calleuse, humble et grande… L’Ermite est troublé à cause de cette main.

— Comment ?

— Tout simplement parce qu’il la contemple dans son animalité passionnée et triste. Il n’en faut pas davantage pour être grandement coupable et grandement damné. N’as-tu jamais, toi, désespéré de ton âme à cause d’une main ?

— J’en vois une, souvent, immobile dans les ténèbres. À ses doigts, sauf à l’index, étincelle, en guise d’ongle, un diamant aigu, mais je ne peux jamais connaître ce que le doigt indicateur, à son extrémité, a comme symbole. Il reste dans l’ombre.

— Je te défends de regarder le mien.

— J’ai peur.

— L’Ermite, aussi, a peur. Il aperçoit sa ruche, à travers les volets clos. Elle est coiffée d’un soleil fatigué et doux, et rien de plus dissolvant, pour l’esprit, que de surpren-