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SABBAT

nombre et de la splendeur de mes péchés, Satan. Que ma paupière batte sur lui comme l’aile de la hulotte néfaste, et qu’il vienne, qu’il vienne car le grand Salut, c’est se damner ensemble… Satan !

— Est-ce bien toi qui parles ? Je sommeillais sur la gerbe blonde de mes foudres, et, une fois de plus, je rêvais que l’azur était à moi.

— Pardon ! Mais je n’ai, encore, donné du Diable que le lyrisme.

— Eh ! qu’ai-je donc de plus, à ma fille naïve ? Pourquoi, toi, poète, ferais-tu de moi un autre être que le Génie, ce musical damné ? Pourquoi ne resterais-je pas, pour toi, avant tout, l’écumeur des mers irréelles qui a, dans sa poitrine, le pillage divin, le naufrage bienheureux, la mort qui saute vers les étoiles avec les barils de poudre en révolte, et, pareil au tonnerre, le rire de son cœur ?

Satan ? C’est ce que chaque homme a de plus vivant, de plus involontaire en lui.

Voyons, ma fervente Démone, ressaisis-toi, et poursuis ton œuvre en ouvrant de plus en plus les ailes de ta démence sacrée. Le sabbat de l’esprit est autrement plus terrible que l’autre et combien plus fastueux ! Se déshonorer avec quelques diables crottés, quand la nuit sent le curé et la sorcière et les haillons des maudits honteux, est un jeu de mauvais goût, bien désuet, et qui ne vaut pas un coup de mes cornes, ma fille.

Mais recréer Satan, c’est autre chose.