craquelé de couperose. Un jour, qu’en Cour d’assises il était de service, il fallut tirer du fourreau pour l’exhiber au jury, un coutelas, instrument du crime. La rouille l’avait scandaleusement rongé, pendant l’instruction, dans les dépendances humides du greffe ; l’arme et son étui de vieux cuir semblaient soudés. Deux gendarmes avait en vain essayé de dégaîner. On demanda un hercule de bonne volonté. Michiels s’approcha, serra le coupe-choux entre les genoux, l’y retint de la main gauche, tira sur la poignée de la main droite, et brusquement mit la lame au clair. Le populaire debout au fond de la salle applaudit. Oui, c’était un solide compère !
Mais pourquoi alors une gastrite chronique ? Ah ! C’est qu’il est bruxellois, du bas de la ville, né rue des Six-Jetons, établi rue Pierre-Plate, après avoir fait escale rue des Sœurs-Noires et rue Middeleer. Il a toujours vécu dans la zone odorante des brasseries et de leurs satellites, les estaminets réputés pour le lambic lampant et le faro savoureux. Et depuis son enfance, il a bu sans soif ces liquides nationaux, chargeant son estomac de leur pesant lestage, dans lequel il noie le soir des œufs durs et mêle la fumée de sa pipe bourrée de fleur d’Haerlebeke. Dès vingt-ans son ventre commençait à ballonner, et il se sentait chaque matin autour du crâne l’étau du casque des buveurs. Il était pris de la maladie bête et morose qui déprime le caractère et empeste l’haleine de tous ses concitoyens adonnés aux mêmes incurables faiblesses.
Michiels s’en désolait. Il aimait le travail, mais une incessante congestion cervicale paralysait son intelligence, d’une bonne moyenne belge, savez-vous ? Tout lui coûtait un effort. Perpétuellement somnolent et perpétuellement obligé d’agir, il ne sortait pas de la mauvaise humeur découragée et baillante d’un serviteur tiré de son repos avant l’heure. Le marasme le rongeait.
Comment guérir ?
Ah ! qu’il était loin de cette belle santé flamande, proverbiale et fausse, dont l’étranger gratifie naïvement ces grosses bedaines, qui, pour ceux qui connaissent nos misères, sont le réceptacle et le témoignage de la morne maladie des amateurs de bière.
Comment guérir ?
Il s’était plaint à ses camarades de table du Borgval, son estaminet favori depuis quatorze ans. Tous, lâchement soumis au même vice et victimes du même alanguissement, lui avaient répondu : Rien à faire. Ils se résignaient à leur affaissement quotidien avec le fatalisme des mangeurs d’opium. Il avait consulté le médecin du quartier, qui, du reste, buvait comme les autres les torpides breuvages. Celui-ci avait répondu, en riant : « Ne boire que de l’eau et ne plus fumer…, si vous pouvez. » Michiels avait pris ce conseil pour une énorme plaisanterie. Le pharmacien l’avait purgé : il avait été sou-