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EDMOND PICARD



La Veillée de l’Huissier
— CONTE DE NOËL —




À mon cher Confrère en Art et Littérature,

CAMILLE LEMONNIER
j’offre
cette esquisse à la plume
tracée au hasard de la fantaisie
un soir d’hiver,
un soir de solitude.


21 décembre 1881, Veillée de Noël.



B astien Michiels, huissier, il y a vingt ans, à la Cour d’appel de Bruxelles, y domicilié, patenté et immatriculé, souffrait d’une gastrite chronique.

À cause d’elle il se réveillait la bouche pâteuse et navré d’une tristesse plombante. À cause d’elle il mouvait péniblement ses jambes alourdies quand, vers dix heures, il se rendait au Palais, alors rue de Ruysbroeck, dans l’ancien couvent des Jésuites, affublé pour passer à l’état de bâtiment civil, d’un péristyle grecque copié sur celui de Sainte-Marie-la-Ronde, à Rome. À cause d’elle il s’endormait pendant l’audience à la petite table où il griffonnait ses exploits. Et, par malheur, il ronflait : il avait (date néfaste !) ponctué une plaidoirie d’un long raclement d’archet sur la quatrième corde d’une contre-basse. À ce bruit étrange, un vieux conseiller, se penchant vers son voisin, avait dit : « Heureusement que ça ne sent pas, » et l’avocat interrompu s’était écrié, goguenard et emphatique : « Voilà l’effet de mon éloquence ! » Michiels sursauta au milieu des éclats de rire. Le président l’admonesta sévèrement.

Il était malheureux. Et pourtant, quoique malade, c’était un solide compère, de haute taille, découplé en athlète, noir de poil, cheveux ras, barbe longue, teint rouge, trop rouge et

Anthologie Contemporaine.
Vol. 55. Série 5 (N°7).