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LA GRANDE LAMENTATION


Je suis encore jeune et je m’en sens à peine,
J’eus trop de deuils, trop de regrets et trop de peine,
Et trop de servitude a fait mes bras tremblants ;
Je n’ose regarder si j’ai des cheveux blancs.
Mon cœur me fait si mal toutes les fois qu’il bouge,
J’ai la colère aux doigts comme une amphore rouge,
Et quand je la répands, en un geste insensé,
Elle est, autour de moi, comme du vin versé.
Les morts sont plus heureux, dans leur parc solitaire,
Avec leurs os en croix et leur morceau de terre,
Je porte, à chaque instant, mes deux mains à mon front,
Et j’allonge, parfois, mon corps las sur la pierre,
De même qu’un fagot de bois mort et de lierre…
Ma douleur est ainsi qu’un pauvre bûcheron…

C’est trop de tant souffrir depuis plus d’une année,
Le soir est, chaque fois, plus lourd que sa journée,
Je ne dors presque pas… et quand je dors, mon Dieu,
C’est pour aller toujours me perdre au même lieu,