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Avant, j’aimais passer à côté des saisons,
J’aimais noyer mon âme au fond des horizons,
Et je me louangeais car j’étais, chaude et fine,
Aux pieds d’or de la France, une rose latine.

Hélas ! tout est fini de ce charme éprouvé,
Tout m’oppresse, m’est lourd : être, apprendre, rêver,
Mon plus grand mal me vient de regarder la lune
Et le bonheur, hélas ! est ma pire infortune.

Avant, j’aimais le miel haut fleuri du côteau,
La maison de cristal et de perles de l’eau,
J’aimais l’œillet divers dans le même parterre
Et la bêche plantée au bord chaud de la terre.

Je vous accuserai, car vous m’avez tout pris,
Mes longs sainfoins couchés, mes beaux tilleuls soumis,
Ma gaieté ressemblant, tout odeur, tout épines,
Aux petits sentiers clairs hérissés d’aubépines.

Je vous accuserai, car tout m’est importun,
Et car j’ai laissé choir le vase du parfum,
Et car j’entends, au fond de ma saison pâlie,
Le goutte à goutte lent de la mélancolie…