Page:Picard - L Instant eternel.djvu/199

Cette page a été validée par deux contributeurs.


À PROPOS DE LA TRISTESSE


Il vaudrait mieux, certainement, souffrir sans cesse,
N’avoir pas ces répits et cet apaisement,
Il semble que l’on paie, ensuite, doublement
La trahison d’avoir oublié sa tristesse.

Tout à coup, elle arrive… On ne sait pas pourquoi,
Par nul rêve ou nul chant on ne l’a réveillée,
Elle fait un bruit long et menu de feuillée,
Et donne au soir le goût et l’aspect gris du froid.

On se reprend un peu, on s’agite, on résiste,
On ouvre un livre, on rit, par défi, par dédain ;
Mais peut-on, ah ! peut-on échapper au soudain,
Au quelque chose obscur qui veut que l’on soit triste ?…

C’est en vain qu’on veut fuir ; il faut rester, s’asseoir,
Gémir de voir, crier d’aimer, s’accuser d’être,
Faire entrer plus de peine en ouvrant sa fenêtre,
Et boire, à plein chagrin, toute l’odeur du soir.