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Je vais lui demander d’être encore farouche,
De me blesser de tous ses doigts voluptueux,
De me faire crier en me baisant la bouche,
De me faire gémir en touchant mes cheveux. »

Je dis : « Je te dois tant, Amour poignant et tendre !…
Oh ! te rappelles-tu, mon amour fraternel,
Quand je vais dans les bois te porter, te suspendre
Ou, pâle, te verser devant l’art éternel ?…

Je te jette, le soir, aux bras de la musique
Quand elle roule au fond de son fleuve inconnu,
Je te fais palpiter dans la chair pathétique
De quelque dieu de marbre ivre, splendide et nu.

Je te voue au poème infini de mon rêve,
Je ne sais rien chérir sans vouloir t’y mêler,
Je t’ai chanté, sur la montagne, sur la grève
Et partout où j’ai vu quelque ciel étoilé.

Je te dois tant, je te dois tout, Amour, en somme,
Le vin que tu m’offris me fit l’esprit si sûr
Que je n’ai plus rien craint ni de Dieu, ni de l’homme
Et que j’ai vu la mort ainsi qu’un port d’azur.