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grandes distances, et c’est à peine si, sur dix tombes, on en voit une qui rappelle des jeunes gens ou des jeunes filles ravies, à la fleur de l’âge, à l’amour et à la tendresse de ceux qui avaient élevé leur enfance ; tandis qu’à Montmartre, sur dix tombes, on en trouve neuf qui font regretter et la jeunesse et la beauté, hélas ! flétries au moment où la nature était chez eux dans toute la force de son développement. Quelle peut donc être la cause de cette différence ! comment expliquer ce phénomène, et dire pourquoi la mort frappe ici plus de jeunes gens que de vieillards, et là plus de vieillards que de jeunes gens ?

Ah ! n’en doutons pas, c’est à la différence des mœurs dans les quartiers où sont situés ces deux cimetières qu’il faut chercher la cause de ces deux résultats si différens. « C’est, dit Caillot qui a fait la même remarque que nous, à l’usage habituel des alimens les plus échauffans elles plus délicats, de ces liqueurs aussi dangereuses pour tous les tempéramens, qu’elles sont flatteuses pour tous les goûts ; c’est à cette fureur pour les spectacles, pour les fêtes, pour les promenades nocturnes, qui fait braver à un si grand nombre de jeunes hommes et de jeunes femmes, et les lois de la nature, et les conseils de la sagesse, et les menaces d’Hygie ; c’est à ces modes enfin, fruit de l’intérêt, du caprice, du luxe et de la vanité, et fléaux éternels de la santé et de la fortune, que le Champ du Repos, situé à la suite des quartiers du Palais-Royal, des rues Saint-Honoré, Vivienne, Richelieu, Montmartre, des boulevards et de la chaussée d’Antin, doit cette jeune population, déplorable ornement de ses tombeaux. O jeunes hommes ! O jeunes épouses ! si vous pensez que la mélancolie me porte à l’exagération, et que, moraliste atrabilaire, je ne cherche qu’à vous inspirer une terreur dont je ne suis pas pénétré moi-même, venez et voyez, contemplez de vos propres yeux ces tombes, et lisez la foule