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APHORISMES

Pareillement, quand on boit : tant que le vin est dans à bouche, on est agréablement, mais non parfaitement impressionné ; ce n’est qu’au moment où l’on cesse d’avaler qu’on peut véritablement goûter, apprécier et découvrir le parfum particulier à chaque espèce, et il faut un petit intervalle de temps pour que le gourmet puisse dire : « Il est bon, passable ou mauvais. Peste ! c’est du chambertin ! Ô mon Dieu ! c’est du surène ! »

On voit par là que c’est conséquemment aux principes, et par suite d’une pratique bien entendue, que les vrais amateurs sirotent leur vin (they sip it) ; car, à chaque gorgée, quand ils s’arrêtent, ils ont la somme entière du plaisir qu’ils auraient éprouvé s’ils avaient bu le verre d’un seul trait.

La même chose se passe encore, mais avec bien plus d’énergie, quand le goût doit être désagréablement affecté.

Voyez ce malade que la Faculté contraint à s’ingérer un énorme verre d’une médecine noire, telle qu’on les buvait sous le règne de Louis XIV.

L’odorat, moniteur fidèle, l’avertit de la saveur repoussante de la liqueur traîtresse ; ses yeux s’arrondissent comme à l’approche d’un danger ; le dégoût est sur ses lèvres, et déjà son estomac se soulève. Cependant on l’exhorte, il s’arme de courage, se gargarise d’eau-de-vie, se serre le nez et boit…

Tant que le breuvage empesté remplit la bouche et tapisse l’organe, la sensation est confuse et l’état supportable ; mais à la dernière gorgée, les arrière-goûts se développent, les odeurs nauséabondes agissent, et tous les traits du patient expriment une horreur et un goût que la peur de la mort peut seule faire affronter.

S’il est question, au contraire, d’une boisson insipide, comme, par exemple, un verre d’eau, on n’a ni goût ni