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L’ART DE DÎNER EN VILLE

PAR COLNET[1].


CHANT PREMIER

J’enseigne dans mes vers comment un pauvre auteur
Peut des banquets du riche atteindre la hauteur.
Je dirai par quels soins, par quel heureux manége,
Il saura conserver un si beau privilége,
Et, sans prendre jamais un verre d’eau chez lui,
S’asseoir, un siècle entier, à la table d’autrui.
Toi qui laisses à jeun tes favoris fidèles,
Savant régulateur du chœur des neuf pucelles,
Apollon, dieu des vers, viens inspirer mes chants ;
Ma Muse engraissera tes malheureux enfants.
Hélas ! sur le Parnasse ils font maigre cuisine ;
On y dîne fort mal, si pourtant on y dîne.
Quoi ! n’est-ce donc, grand dieu, n’est-ce que pour les sots
Que le ciel bienfaisant créa les bons morceaux ?
Mais si Phébus est sourd à mon humble prière,
Jette sur mon sujet quelques traits de lumière,

  1. Né en 1768, mort du choléra en 1832. Colnet se fit connaître d’abord par de petits poëmes assez médiocres où l’on remarqua pourtant des traits spirituels et de vives plaisanteries. Plus tard (en 1810) il publia l’Art de dîner en ville, que nous donnons ici, badinage piquant et ingénieux qui obtint du succès et fut réimprimé plusieurs fois. Colnet se fit à la fois libraire et journaliste. Il travailla successivement avec succès aux feuilles les plus répandues ; mais ce fut surtout sous la Restauration qu’il se fit une sorte de renom par la vivacité mordante de ses articles empreints d’un royalisme excessif, et notamment par ses Lettres dans la Gazette de France. L’Art de dîner en ville survit à ces polémiques éteintes et oubliées.