Page:Physiologie du gout, ou meditations de gastronomie transcendante; ouvrage théorique, historique, et à l'ordre du jour, dédié aux gastronomes Parisiens (IA b21525699).pdf/42

Cette page n’a pas encore été corrigée
28
APHORISMES

punir de ce qu’avec quelques-uns de ses camarades de captivité, il avait formé le projet de se sauver et de s’enfuir,

Cet homme que je rencontrai à Amsterdam, où il gagnait sa vie à faire des commissions, avait eu quelque éducation, et on pouvait facilement s’entretenir avec lui par écrit.

Après avoir observé qu’on lui avait enlevé toute la partie antérieure de la langue jusqu’au filet, je lui demandai s’il trouvait encore quelque saveur à ce qu’il mangeait, et si la sensation du goût avait survécu à l’opération cruelle qu’il avait subie.

Il me répondit que ce qui le fatiguait le plus était d’avaler (ce qu’il ne faisait qu’avec quelque difficulté) ; qu’il avait assez bien conservé le goût ; qu’il appréciait comme les autres ce qui était peu sapide ou agréable : mais que les choses fortement acides ou amères lui causaient d’intolérables douleurs.

Il m’apprit encore que l’abscision de la langue était commune dans les royaumes d’Afrique ; qu’on l’appliquait spécialement à ceux qu’on croyait avoir été chefs de quelque complot, et qu’on avait des instruments qui y étaient appropriés. J’aurais voulu qu’il m’en fit la description : mais il me montra, à cet égard, une répugnance tellement douloureuse, que je n’insistai pas.

Je réfléchis sur ce qu’il me disait, et, remontant aux siècles d’ignorance, où l’on perçait et coupait la langue aux blasphémateurs, et à l’époque où ces lois avaient été faites, je me crus en droit de conclure qu’elles étaient d’origine africaine et importées par le retour des croisés.

On a vu plus haut que la sensation du goût résidait principalement dans les papilles de la langue. Or, l’anatomie nous apprend que toutes les langues n’en sont