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bataille.

Je finis ce chapitre en racontant une circonstance de ma vie qui prouve bien que rien n’est sûr en ce bas monde, et que le malheur peut nous surprendre au moment où on s’y attend le moins.

Je partais pour la France, je quittais les États-Unis après trois ans de séjour, et je m’y étais si bien trouvé que tout ce que je demandai au ciel (et il m’a exaucé) dans ces moments d’attendrissement qui précèdent le départ, fut de ne pas être plus malheureux dans l’ancien monde que je ne l’avais été dans le nouveau.

Ce bonheur, je l’avais principalement dû à ce que, dès que je fus arrivé parmi les Américains, je parlai comme eux[1], je m’habillai comme eux, je me gardai bien de vouloir avoir plus d’esprit qu’eux, et je trouvai bon tout ce qu’ils faisaient ; payant ainsi l’hospitalité que je trouvais parmi eux par une condescendance que je crois nécessaire et que je conseille à tous ceux qui pourraient se trouver en pareille position.

Je quittai donc paisiblement un pays où j’avais vécu en paix avec tout le monde, et il n’y avait pas un bipède sans plumes dans toute la création qui eût plus actuellement que moi l’amour de ses semblables, quand il survint un incident tout à fait indépendant de ma volonté, et qui faillit à me rejeter dans les événements tragiques.

J’étais sur le paquebot qui devait me conduire de

  1. Je dînais un jour à côté d’un créole qui demeurait à New-York depuis deux ans, et qui ne savait pas assez d’anglais pour demander du pain : et je lui en témoignai mon étonnement. « Bah ! dit-il en levant les épaules, croyez vous que je sois assez bon pour me donner la peine d’étudier la langue d’un peuple aussi maussade ? »