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« Mais du moins, dis-je d’un air moitié chagrin et moitié suppliant, ne pourriez-vous pas nous brouiller ces œufs dans le jus de ce gigot ? Avec ces œufs et une tasse de café à la crème nous nous résignerons. — Oh ! très-volontiers, répondit le chef, le jus nous appartient de droit public, et je vais de suite faire votre affaire. » Sur quoi il se mit à casser les œufs avec précaution.

Quand je le vis occupé, je m’approchai du feu, et tirant de ma poche un couteau de voyage, je fis au gigot défendu une douzaine de profondes blessures, par lesquelles le jus dut s’écouler jusqu’à la dernière goutte.

À cette première opération, je joignis l’attention d’assister à la concoction des œufs, de peur qu’il ne fût fait quelque distraction à notre préjudice. Quand ils furent à point, je m’en emparai et les portai à l’appartement qu’on nous avait préparé.

Là, nous nous en régalâmes, et rimes comme des fous de ce qu’en réalité nous avalions la substance du gigot, en ne laissant à nos amis les Anglais que la peine de mâcher le résidu.

III
victoire nationale.

Pendant mon séjour à New-York, j’allais quelquefois passer la soirée dans une espèce de café-taverne tenu par un sieur Little, chez qui on trouvait le matin de la soupe à la tortue, et le soir tous les rafraîchissements d’usage aux États-Unis.

J’y conduisais le plus souvent le vicomte de la Massue et Jean-Rodolphe Fehr, ancien courtier de commerce à