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pagne l’espèce humaine partout où on l’a rencontrée.

Les animaux n’ont point été frappés de cette malédiction, et sans quelques combats causés par l’instinct de la reproduction, la douleur, dans l’état de nature, serait absolument inconnue à la plupart des espèces : tandis que l’homme, qui ne peut éprouver le plaisir que passagèrement et par un petit nombre d’organes, peut toujours, et dans toutes les parties de son corps, être soumis à d’épouvantables douleurs.

Cet arrêt de la destinée a été aggravé, dans son exécution, par une foule de maladies qui sont nées des habitudes de l’état social : de sorte que le plaisir le plus vif et le mieux conditionné que l’on puisse imaginer ne peut, soit en intensité, soit en durée, servir de compensation pour les douleurs atroces qui accompagnent certains dérangements, tels que la goutte, la rage des dents, les rhumatismes aigus, la strangurie, ou qui sont causés par les supplices rigoureux en usage chez certains peuples.

C’est cette crainte pratique de la douleur qui fait que, sans même s’en apercevoir, l’homme se jette avec élan du côté opposé, et s’attache avec abandon au petit nombre de plaisirs que la nature a mis dans son lot.

C’est pour la même raison qu’il les augmente, les élire, les façonne, les adore enfin, puisque, sous le règne de l’idolâtrie, et pendant une longue suite de siècles, tous les plaisirs ont été des divinités secondaires, présidées par des dieux supérieurs.

La sévérité des religions nouvelles a détruit tous ces personnages : Bacchus, l’Amour et Comus, Diane, ne sont plus que des souvenirs poétiques ; mais la chose subsiste, et sous la plus sérieuse de toutes les croyances, on se régale à l’occasion des mariages, des baptémes et même des sépultures.