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était là, ses souvenirs jonchaient le sol, sur lequel elle se baissait et cueillait par brassées des images qu’ensuite elle ne pouvait plus laisser choir.

Mais il y avait d’autres jours. Il y avait des soirs où, sous sa robe, son corps vivait dans la solitude. Son échine électrisée par les temps lourds ne pouvait plus supporter la moelle de ses vertèbres et, dans sa gorge, ce goût du sang, ce trop-plein de la vie qui la débordait, lui faisaient un mal à mourir. Elle se pliait en arrière et tendait la tête pour que quelqu’un vînt à son secours pomper sur sa bouche cet amour dont elle éclatait. Sa chambre était au premier étage. Certains soirs, elle n’y pouvait tenir. Lorsque les grands-parents dormaient, elle descendait l’escalier, en pantoufles, ménageait les portes et sortait au jardin. Elle se promenait jusqu’à des onze heures, vêtue de sa seule chemise, dans les nuits sans souffle, s’asseyant parfois sur l’herbe, se relevant soudain et marchant encore, dans une impatience qui lui faisait battre l’air et chercher un coin, une brise, une aventure qui l’eût sauvée de ses singu-