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Bronsy ayant répondu à toutes les questions de l’Indien se disposait à l’interroger à son tour sur des choses qui l’intéressaient vivement et dont il avait lieu de croire ce dernier bien instruit, mais il n’en eut pas le temps ; on venait de donner le signal qui annonçait la grande danse de guerre, pièce principale et réservée pour la dernière dans le programme du jour. Les cinq cents guerriers devaient y prendre part à la fois. Afin de mieux l’exécuter, cette nombreuse troupe d’acteurs des forêts s’était reposée quelques minutes de ses premiers exercices, car le dernier devait être long et plus fatiguant à lui seul que tous les autres ensembles. Au signal donné, tous reparaissaient sur la scène.

Le petit fils de Kondiaronk, averti par ce mouvement et pressé davantage par les cris de ses compagnons, s’était élancé vers eux à la course. Bronsy le vit à regret s’éloigner, mais il se résigna de bonne grâce à la nécessité qui lui faisait une loi de remettre la partie au lendemain.

IV.

Le personnage que l’on a vu plus haut se séparer de M. Aubert dans le corridor de l’hôtel du gouverneur à la suite d’un entretien qui devait dérober un temps si précieux au lieutenant Bronsy, était, comme nous l’avons dit, rentré à la salle du conseil. Il avait promis à M. Aubert de lui donner un écrit à l’égard de l’affaire dont ce dernier s’était chargé. Après être resté dans la salle le temps qu’il lui fallait pour rédiger cet écrit, il sortit de l’hôtel et se dirigea vers la basse-ville. Les rues, qui, tout à l’heure encore, se trouvaient remplies de monde et de bruit, étaient devenues désertes et silencieuses comme au milieu de la nuit la plus calme. Cet homme marchait d’un pas rapide et paraissait vivement préoccupé, si bien qu’il avait l’air de s’éveiller en sursaut chaque fois que, venant à passer sur un pavé, sa semelle y résonnait bruyamment, ou qu’il était surpris par le murmure vague et lointain que le vent lui apportait des clameurs de la plaine.

Il y avait dans le voisinage de la Pointe Callières, au temps de la légende que nous citons et toujours suivant celle-ci, une maison bien connue des Montréalais sous le nom d’Auberge du Castor. C’était un lieu de prédilection pour les rendez-vous des voyageurs et des autres employés de l’opulente compagnie de l’époque.

Arrivé devant cette auberge, le personnage dont nous venons de parler s’arrêta, les yeux fixés sur l’enseigne qui l’indiquait : — C’est ici, se dit-il ; puis il entra. En l’apercevant, le maître de la maison le salua respectueusement et courut ouvrir la porte de sa meilleure salle de réception.

— Je vois qu’on vous a prévenu, dit alors celui qui venait d’entrer en agitant l’air sur son visage avec son chapeau à plumes.

— Vous êtes M. Boldéro ?

— C’est mon nom.

— Eh bien ! monsieur, je vous aurais reconnu quand même, quoique je vous voie pour la première fois ; car votre arrivée a fait beaucoup de bruit à Montréal, et certes, je me flatte d’en connaître tous les habitants de vue et de nom. Mais j’ai été averti que vous déviez venir dans ma maison aujourd’hui. Votre homme ne vous a pas trompé.

— Quimpois ?

— Justement, c’est lui qui est venu ce matin pendant que la troupe escortait les chefs sauvages sur la plaine.

— Est-il ici maintenant ?

— Non, monsieur, mais il m’a dit qu’il espérait revenir avant vous. Si vous vouliez l’attendre un peu, je vous prierais de passer dans cette salle. Je connais Quimpois, il vient souvent ici, et je gagerais tous mes tonneaux pleins du meilleur jus de Ste. Croix contre une seule peau de castor que, s’il ne lui est rien arrivé, Quimpois ne tardera pas à paraître.

M. Boldéro, qui avait résolu de faire la même proposition à l’aubergiste, n’était pas fâché de le voir courir au-devant de ses vœux. Il prit le siége que ce dernier lui offrait dans son meilleur salon et alla s’assoir près d’une fenêtre par où pénétrait l’air rafraîchissant du fleuve.

— Mais savez-vous, continua-t-il en se retournant du côté du maître de l’auberge, savez-vous que, sans votre permission, j’ai