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mon second voyage

assez appétissant, s’il ne lui avait pas manqué deux assaisonnements indispensables, la propreté et le sel, deux choses inconnues chez ces hommes.

Après le dîner, les hommes et les jeunes gens se peignirent le visage d’une manière horrible, en brun, en rouge, en bleu ou en noir. Ils commencèrent par se frotter la figure avec de la graisse de poisson, puis ils étendirent la couleur avec leurs mains ; et, pour faire différents dessins, ils passèrent leurs doigts sur la couleur de manière à l’enlever par place. Je n’ai pas besoin de dire que leur laideur naturelle en devint encore beaucoup plus repoussante. Après cette opération, ils se mirent à chanter. Leur chant me parut plus mélodieux et mieux conduit que je ne l’aurais attendu d’un peuple aussi sauvage. La conversation se prolongea assez avant dans la nuit. On eut ensuite la galanterie de m’abandonner une hutte de terre, c’est-à-dire que les hommes s’éloignèrent et que les femmes seules restèrent auprès de moi : une d’elles se serra tellement contre moi que je pouvais à peine me tourner. J’avais de l’autre côté de grandes corbeilles remplies de poissons fumés, et au-dessus de nos têtes étaient suspendus les poissons à fumer. On peut se faire une idée de l’agrément que j’eus à passer la nuit dans un pareil gîte, couchée sur le sol humide, sans coussin ni couverture. J’avais pris peu de part au repas, pensant bien me dédommager la nuit, quand tout dormirait, avec un peu de fromage et de pain. Tant que les femmes furent éveillées, je n’osai pas tirer ces précieuses reliques de ma poche : chacune aurait voulu y goûter, et à la fin il ne me serait plus rien resté à moi-même. Lorsqu’elles furent endormies, c’est-à-dire lorsque je les entendis ronfler, je me relevai un peu et je tirai mon trésor avec précaution, mais le sommeil de ma voisine était bien léger ou n’était qu’une feinte. Elle se réveilla aussitôt, me demanda ce que je faisais, et me signifia de me recoucher et de ne plus remuer. Elle attisa le