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paient les nègres presque uniquement en denrées coloniales. Or si, par suite du manque de bras, ils ne peuvent pas mettre leurs propriétés en valeur comme il conviendrait, si leurs récoltes ont été compromises par un de ces ouragans ou cyclones si fréquents aux Antilles, ou bien encore par les fourmis, terribles agents destructeurs qu’on cherchait sans cesse et vainement à détruire[1], sans parler des entraves et des désastres de la guerre, il est évident qu’ils sont réduits à faire attendre les marchands négriers.

Sans doute, les Anglais, n’ayant pu vendre, en se retirant, cette quantité de nègres qu’ils avaient introduits à la Guadeloupe, avaient dû en emmener une bonne partie dans leurs autres îles. En effet, à la date du 25 août 1765[2], nous relevons des « soumissions de plusieurs particuliers pour l’introduction et le remplacement des nègres à la Guadeloupe. » Ils exposent que l’île peut occuper plus de 120.000 esclaves, tandis qu’elle n’en a que 40.000. Or, depuis la paix, le commerce de France n’a vendu que 675 nègres, à 15 et 1.600 livres pièce. Les soussignés offrent d’en fournir à 1.400 livres pièce d’Inde, et, en outre, de payer 30 livres par tête au domaine du roi. Mais il n’est plus question ensuite de cette proposition ; on dut leur opposer, en tant que colons, une fin de non-recevoir.

L’année précédente, avait eu lieu la trop fameuse tentative de colonisation par les Européens à Cayenne, connue sous le nom d’expédition du Kourou. Quoiqu’il soit bien démontré que, si elle échoua lamentablement, c’était bien moins à cause du climat que de la déplorable incurie de ses chefs[3], cette expérience désastreuse ne contribua pas peu à renforcer encore les préjugés contre le travail libre.

  1. Arch. Col., B, 136, Martinique, p. 34. Lettre ministérielle du 21 juin 1776 à MM. d’Argout et Tascher : Envoi d’un arrêt du Conseil qui homologue la délibération prise par les habitants de la Martinique pour assurer la récompense d’un million à celui qui indiquera un moyen sûr de détruire les fourmis.
  2. Arch. Col., F, 228, p. 163.
  3. Cf. Arch. Col., F, 22. Lettre de M. de Clermont au chevalier Turgot, 12 juin 1764, — de M. Lair au chevalier Turgot, 17 juillet 1764, — et de M. de Chanvalon au Ministre, même jour.