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que la nature a mise entre les blancs et les noirs, et que le préjugé politique a eu soin d’entretenir comme une distance à laquelle les gens de couleur et leurs descendants ne devaient jamais atteindre ». Il importe « au bon ordre de ne pas affaiblir l’état d’humiliation attaché à l’espèce, dans quelque degré qu’elle se trouve ; préjugé d’autant plus utile qu’il est dans le cœur même des esclaves et qu’il contribue principalement au repos même des colonies. » Le Ministre recommande, en outre, de ne favoriser sous aucun prétexte les alliances des blancs avec les filles de sang-mêlé. Ainsi le marquis De Lage, capitaine d’une compagnie de dragons, qui a épousé en France une fille de ce sang, ne pourra plus servir à Saint-Domingue. — Nous relèverons encore ce passage dans un Mémoire du 7 mars 1777[1] : « À quelque distance qu’ils (les gens de couleur) soient de leur origine, ils conservent toujours la tache de leur esclavage et sont déclarés incapables de toutes fonctions publiques ; les gentilshommes même qui descendent, à quelque degré que ce soit, d’une femme de couleur, ne peuvent jouir de la prérogative de la noblesse. Cette loi est dure, mais sage et nécessaire dans un pays où il y a 15 esclaves pour 1 blanc ; on ne saurait mettre trop de distance entre les deux espèces ; on ne saurait imprimer aux nègres trop de respect pour ceux auxquels ils sont asservis. Cette distinction, rigoureusement observée même après la liberté, est le principal lien de la subordination de l’esclave, par l’opinion qui en résulte que sa couleur est vouée à la servitude, et que rien ne peut le rendre égal à son maître. L’administration doit être attentive à maintenir sévèrement celle distance et ce respect. »

Quelque temps après, cependant, une autre opinion se manifeste dans des instructions au sieur de Clugny, gouverneur de la Guadeloupe, et au sieur Foulquier, intendant,

  1. Durand-Molard, III, 295.