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les nouveaux venus ; car, par la suite, les nègres créoles étaient façonnés de bonne heure à la vie laborieuse. Pour la culture de la canne à sucre ou du tabac, les nègres étaient aux champs depuis le lever du soleil jusqu’à la fin du jour, sans autre répit que le temps nécessaire pour absorber leur nourriture. Leur énergie était sans cesse ranimée par le fouet du commandeur. « On ne leur laisse que trois ou quatre heures pour dormir, surtout au moment de la saison du petun[1]. » Encore ceux-là n’étaient-ils pas les plus malheureux ; ceux qui souffraient le plus étaient sûrement ceux qu’on employait à la fabrication du sucre. C’est le P. Labat qui nous fournit les details les plus complets sur cette fabrication, ainsi que sur la culture de la canne[2]. Les cannes récoltées sont d’abord broyées par les moulins à sucre. Ce sont des négresses qui sont chargées de les mettre en rouleaux. Or, pour peu qu’elles avancent trop la main à l’endroit où les tambours se touchent, elles sont entraînées et le plus souvent écrasées. Ces accidents se produisent surtout la nuit. Dans certains cas, on a tout au plus le temps de couper la main ou le bras de la victime[3]. On a soin d’obliger les nègres et les négresses à fumer et à chanter pour les empêcher de succomber au sommeil ; sinon, en écumant les chaudières, ils peuvent tomber dedans. Ils peinent, en effet, dix-huit heures sur vingt-quatre. « Sur les six heures qu’ils ont en deux fois pour dormir, il faut qu’ils en ôtent le temps de leur souper et souvent celui d’aller chercher des crabes pour se nourrir. » Le lever a lieu une demi-heure avant le jour. On fait la prière et, dans les maisons bien réglées, il y a même un petit catéchisme. Quelques maîtres donnent alors un peu

  1. Du Tertre, II, 524.
  2. Cf. fin du t. III, p. 408 et sqq., et commencement du t. IV. Voir aussi, dans l’Atlas joint à la Description de la partie française de Saint-Domingue, par Moreau de Saint-Méry, les planches 41 et 42 représentant les plans d’une sucrerie et d’un équipage à sucre (avec renvois explicatifs).
  3. Les Anglais se servaient parfois du moulin à sucre comme instrument de supplice et ils faisaient broyer des nègres qui avaient commis quelque crime considérable.