Page:Peytraud - L'esclavage aux Antilles françaises avant 1789, 1897.djvu/238

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

venue. Or, nous venons de le voir, ce côté de l’existence fut à peu près nul pour les esclaves. Il n’y a pour eux que le domaine des sens. Malgré l’hypocrisie officielle des lois et règlements faits pour assurer leur salut, ils furent en somme uniquement ce qu’ils étaient dans l’antiquité, c’est-à-dire des corps (σώματα). Plus d’homme moral, partant plus de personnalité. Il ne reste qu’une machine vivante dont il importe de tirer le plus de rendement possible. Il faut l’entretenir, la régler, empêcher seulement qu’elle ne s’arrête ou qu’elle ne fasse explosion, j’entends par là que la matière animée, surmenée et comme surchauffée, ne tourne ses forces contre son conducteur. Examinons donc comment se fit dans la pratique cette exploitation.

Nous ne suivrons pas ici l’ordre adopté par le Code Noir, parce qu’il nous paraît plus logique de rapprocher les articles 15 à 21, qui traitent de la police des esclaves, des articles 32 à 43, dans lesquels il est question de la manière dont ils sont jugés et châtiés pour les différents délits commis par eux.

L’esclave est surtout un instrument de travail. Sauf la garantie que lui assure l’article 6 du Code Noir, de ne pas travailler les dimanches et jours de fêtes, rien n’est réglementé pour lui à cet égard. Il dépend uniquement de l’arbitraire de son maître, qui a le droit d’user de lui jusqu’à l’extrême limite de ses forces. « Si le travail, dit P. Du Tertre[1], auquel Dieu engagea le premier homme, est un châtiment de sa rébellion, et si la justice vengeresse y a tellement obligé les malheureux enfants de ce père que Job assure qu’il ne leur est pas moins naturel que le vol à l’oiseau, on peut dire que les nègres souffrent la plus rigoureuse peine de cette révolte. » Or, ne l’oublions pas, c’étaient des êtres habitués la plupart du temps à vivre d’une vie libre et nonchalante, que les Européens contraignirent aux labeurs les plus pénibles exécutés sans relâche. Assurément les plus à plaindre étaient

  1. II, 523